L’emploi de la Matrice de Délibération pour le recadrage multi-acteur multicritère des risques chimiques pour la biodiversité : les résultats de l’analyse multi-acteur multicritère

La présente Matrice de Délibération a été remplie sur la base des interventions des acteurs dans le cadre des consultations des parties prenantes organisées par la Commission Européenne pour évaluer les propositions du Livre Blanc pour une nouvelle politique dans le domaine des produits chimiques et les formes successives du Réglement REACH. Ces interventions sont disponibles sur le site de la Commission Européenne[1]. Le remplissage s’est donc fait sans la participation des acteurs eux-mêmes, qui était peu probable étant donné les objectifs essentiellement de recherche de la présente analyse. 

 

La Matrice de Délibération est donc utilisée pour cette étude de cas pour la mise en place d’une logique de veille – prospective, comprise dans le sens d’une structuration du débat des acteurs et de la mise en évidence des rôles des diverses catégories[2] d’indicateurs dans l’évaluation des propositions politiques et dans le choix d’un scénario. 

 

Comme le montre la Figure 1, le scénario qui est considéré le plus désirable par les acteurs impliqués est celui qui propose que le développement durable soit l’objectif politique principal en Europe (Cohérence), ce qui se traduit dans le domaine des relations entre les produits chimiques et la biodiversité par le succès de la mise en application du Réglement REACH.

Cette réussite politique s’accompagne d’un changement structurel au niveau du système économique, qui pour l’industrie chimique signifie le passage à des nouveaux modes de production et un changement des types de substances produites.

Pour le consommateur, ce changement se traduit par une prise de conscience accrue du rôle de l’acte d’achat par rapport aux orientations de l’activité productive et aux effets de celle-ci sur l’environnement.

 

L’outil multimédia de la Matrice de Délibération contient une composante qui permet la visualisation des statistiques d’usages des indicateurs, selon le type d’avis (positif / négatif), le nombre d’usages par acteur / enjeu / scénario, le poids de l’indicateur dans le jugement général donné pour la cellule, le poids de l’indicateur dans le jugement général d’un enjeu ou d’un scénario. Ces statistiques ont été utilisées pour appliquer le principe de diversité représentative à la sélection d’un nombre réduit d’indicateurs, avec l’objectif d’obtenir un jeu d’indicateurs qui soient suivis à moyen et à long terme (pour l’application de cette méthode, voir le grain «  Analyse des changements de la biodiversité en IDF: L’analyse des systèmes et le développement d’un ensemble d’indicateurs »)

Figure 1. Vue d’ensemble sur la Matrice de Délibération appliquée à l’étude de cas de la mise en œuvre du réglement REACH

(http://keralarm.c3ed.uvsq.fr/?q=node/729/matrice/4/view)

 

Ces mêmes statistiques sont utilisées dans la présente étude de cas pour mettre en évidence la manière selon laquelle les indicateurs sont utilisés dans l’argumentation, dans le cadre d’un processus délibératif (voir Annexe 10.4).

 

L’analyse des statistiques d’usage des indicateurs met en évidence les mêmes résultats que ceux trouvés par Chamaret (2007) et qui ont été mis en évidence lors de l’application de la Matrice de Délibération pour l’évaluation multicritère multi-acteurs des changements de la biodiversité en Île-de-France (chapitre 8) : les indicateurs techniques sont très peu utilisés dans le processus de délibération. Ainsi, uniquement deux indicateurs de Pression (« Pollution à la distance » et « Pollution de l’eau ») ont été utilisés, dont un a été proposé uniquement par les scientifiques. De même, uniquement cinq indicateurs qui décrivent l’État de la biodiversité ont été mobilisés dans l’argumentation (« Nombre d'espèces animales estimées d'avoir disparu chaque année », « Contamination généralisée de l'environnement avec des produits chimiques potentiellement à risque », « Taux de perte de biodiversité en Europe », « Perte de pollinisateurs », « Nombre d'espèces de plantes estimées avoir disparu chaque année »).

Cette situation est sans doute due au fait que les connaissances scientifiques existantes en abondance dans le domaine des risques chimiques pour les diverses composantes de la biodiversité sont à un niveau de détail et de technicité très importants, et ne sont pas synthétisées dans des indicateurs accessibles aux personnes non-spécialistes. Une autre raison pourrait être la faible visibilité de la communauté scientifique dans le processus de développement du réglement REACH, ce qui a empêché la remontée de la connaissance vers l’arène sociale.

Le fait qu’un scénario ait été choisi en dépit du fait que les indicateurs de Pression ont été rarement utilisés montre que ce type d’indicateurs n’est pas indispensable dans le processus de choix. Ainsi par exemple, même les arguments amenés à l’appui de l’enjeu « Protection de l’environnement », sont inspirés aussi bien par la dimension écologique que par les dimensions socio-économiques (Figure 2 et 3).

Figure 2. Évaluation de l’évolution de l’enjeu « Protection de l’environnement » dans le scénario « Continuer », par la « Commission Européenne »

Figure 3. Évaluation de l’évolution de l’enjeu « Protection de l’environnement » dans le scénario « Croissance », par les « Associations »

 

Une deuxième réflexion qu’on peut faire suite à l’observation de cette tendance porte sur la place des indicateurs techniques dans les jeux d’indicateurs censés appuyer un processus de veille des changements de la biodiversité. La question qui se pose, en appliquant le principe de la diversité représentative dans le choix des indicateurs, est de savoir si on ne perd pas de vue des indicateurs techniques sans lesquels on ne peut pas avancer dans la connaissance de l’état de la biodiversité et de ses changements. Ces indicateurs supposent une connaissance spécialiste que les acteurs ne possèdent généralement pas. Ignorer complètement ce type d’indicateurs reviendrait à penser qu’une bonne connaissance écologique de la biodiversité et de ses changements est peu plausible, et que les efforts dans ce sens ne méritent pas l’investissement dans le suivi des indicateurs pertinents pour ces aspects.



[2] Il s’agit des catégories du cadre DPSIR tétraédrique.