La biodiversité du point de vue des entreprises - Une source de risques et d’opportunités
« Au-delà des risques sociaux et financiers auxquels elles sont traditionnellement confrontées, les entreprises doivent aujourd’hui faire face à une nouvelle forme de risque, le risque “environnemental”. Sa prise en compte impose un changement de point de vue des entreprises. Si l’on accepte que les décisions prises aujourd’hui auront un impact sur les générations futures, il n’est pas pour autant assuré que celui qui prend des risques aujourd’hui sera celui qui en assumera les conséquences demain. Comment évaluer les passifs environnementaux des entreprises et de leurs filiales dans le cadre de fusions – acquisitions (Crédit Agricole Chevreux, 2006) ? À la solidarité intergénérationnelle tournée vers les personnes âgées avec le système des retraites doit aujourd’hui s’instaurer une nouvelle forme de solidarité intergénérationnelle envers les générations futures. Actuellement incarné essentiellement par la “tonne équivalent carbone” du changement climatique, ce nouveau risque impose la nécessité d’un système économique basé sur une vision de plus long terme. Pour l’entreprise, cela implique d’identifier et d’évaluer les risques et impacts de ses activités sur les écosystèmes, notamment en termes financiers, dans l’optique de les maîtriser (de Backer, 2005 ; Reynaud,et al., 2006).
À l’heure actuelle, une réelle prise de conscience des liens entre entreprises et érosion de la biodiversité ne concerne principalement que les grands groupes et multinationales, les entreprises les plus visibles aux yeux du public ou celles en lien direct avec le monde vivant. Ce sont celles qui sont les plus susceptibles d’être soumises aux pressions des parties prenantes, organisations non gouvernementales, riverains ou encore agences de notation extra-financière spécialisées dans l’évaluation de la responsabilité sociale et environnementale de l’entreprise. Depuis la décision VIII/17 à Curitiba en mars 2006 dans le cadre CdP 8 de la Convention sur la Diversité Biologique(24), le monde de l’entreprise est invité à contribuer activement aux objectifs de la CDB(25) et doit faire face à plusieurs questions difficiles, parmi lesquelles :
- La prise en compte du partage équitable des avantages qui découlent des ressources renouvelables issues de la biodiversité,
- La manière dont elles contribuent à la conservation et l’utilisation durable de la diversité biologique,
- La traduction des objectifs internationaux en termes de biodiversité dans leurs stratégies et activités quotidiennes.
Figure 1. Liens entre le monde de la finance, les activités économiques et les écosystèmes, adapté de Porter et Kramer, 2006.
L’encadrement juridique des risques environnementaux est complexe et la notion de “risque biodiversité” est elle-même particulièrement difficile à appréhender. Si elle relève d’une composante relativement objective, celle de la probabilité et de la gravité d’un dommage, elle comporte également une composante subjective, culturelle, dans la perception du risque et de son acceptabilité (Chevassus-au-Louis, 2007). L’heure n’est plus à l’opposition systématique entre les entreprises et les communautés scientifiques et associatives (Barbault, 2006), mais certaines thématiques demeurent problématiques avec la nécessité de conduire de véritables débats – publics, contradictoires et transparents – quand aux choix de développement de nos sociétés. Ainsi, la complexité, la variabilité et l’incertitude associées à la biodiversité sont à la fois sources de risques et d’opportunités (F&C Asset Management, 2004 ; Millennium Ecosystem Assessment, 2005b ; Mulder, 2007) :
- Les risques réglementaires sont notamment d’ordres fiscaux et relatifs aux études d’impacts dans le cadre de demandes d’autorisation d’exploiter[1]. Il existe des opportunités dans l’anticipation de nouvelles législations associées à la biodiversité, notamment en termes de surcoûts évités et d’accès à de nouveaux marchés.
- Les risques associés à l’image et à la réputation interviennent dans l’accès à de nouveaux marchés, et les relations avec la clientèle et les actionnaires plus sensibilisés aux enjeux écologiques qu’auparavant. Construire des partenariats durables avec les parties prenantes et définir des objectifs communs peuvent contribuer positivement au “goodwill”[2] de l’entreprise.
- Les risques liés à la disponibilité et aux coûts des matières premières, organiques (biomasse) et inorganiques (granulats issus de roches massives calcaires ou éruptives), sont, quant à eux, indispensables pour la maîtrise des coûts des processus de production. Réduire la consommation de ces ressources et gérer de manière écologique les espaces qui les fournissent peuvent s’avérer particulièrement avantageux.
- Les risques attachés à l’accès au capital, découlant de ceux mentionnés ci-dessus, concernent en premier lieu les secteurs d’activités avec le plus d’impacts sur la biodiversité. Ils peuvent se matérialiser par une exclusion du portfolio d’actifs de certains investisseurs ou par une augmentation des coûts d’assurance et des taux d’intérêts pour emprunter. Réciproquement, une entreprise optenant par une bonne notation extra-financière peut avoir accès à des financements aux taux bonifiés ou intéresser des investisseurs soucieux du respect de l’environnement.
À noter que les risques réglementaires et d’images peuvent avoir un effet décisif sur le droit ou la capacité à poursuivre une activité. Selon les recommandations du Global Reporting Initiative[3], tout impact matériel de l’entreprise sur le milieu naturel devrait être signalé. En France, la loi sur les Nouvelles Régulations Economiques de 2001 (art.116) stipule l'obligation pour les sociétés françaises cotées en bourse d’inclure dans leurs rapports annuels des informations sur la manière dont elles prennent en compte les conséquences sociales et environnementales de leurs activités. Néanmoins, la place accordée à la biodiversité dans le reporting Développement Durable des quelques centaines d’entreprises concernées est encore anecdotique, sans compter l’absence de règles précises sur la nature des informations à communiquer, de contrôle indépendant de la véracité et de la qualité des données ou encore de sanction en cas de non respect de la loi. Si les entreprises s’efforcent de satisfaire les réglementations en vigueur et parfois d’anticiper leurs évolutions, comment perçoivent-elles leurs interactions avec la biodiversité ? Comme un simple paramètre parmi d’autres pour la maîtrise de l’impact de leurs activités sur l’environnement ? Comme un enjeu important parmi d’autres au sein du pilier environnemental de leur politique “développement durable”? Cela revient à se poser la question de la place de la biodiversité dans leurs activités et stratégies. Lors du lancement du groupe de travail IFB - Orée, une question simple a ainsi été posée : “de quelle manière appréhender la biodiversité du point de vue des entreprises ?” »
[1]En France, cela est encadré essentiellement par la réglementation relative aux Installations Classées pour la Protection de l'Environnement (ICPE) et la loi de 1976 sur la protection de la nature.
[2]Également appelé “survaleur”, le “goodwill” correspond à la différence entre l'actif du bilan d'une entreprise et la somme de son capital immatériel et matériel valorisée à la valeur de marché. Selon la norme comptable internationale IFRS 3, il correspond, plus précisément, à l'excédent du coût d'acquisition, lors d'une prise de participation ou d'une fusion, sur la quote-part de l'acquéreur dans la juste valeur des actifs, passifs et passifs éventuels identifiables.
[3]Organisation non-gouvernementale produisant régulièrement outils et méthodologies pour le reporting environnemental, social et économique des entreprises - http://www.globalreporting.org/Home.