Comparaison des démarches existantes en matière de reporting environnemental
« A ce jour, trois principales démarches de reporting environnemental destiné aux parties prenantes externes ont été identifiées (Houdet 2010) :
1. La Comptabilité financière environnementale (CFE) ;
2. La divulgation des externalités environnementales ;
3. Le Reporting environnemental extra-financier (REEF).
1. La Comptabilité financière environnementale (CFE)
A l’inverse de la comptabilité analytique de gestion, la comptabilité financière (CF) est strictement réglementée par les législations nationales et se rapproche de plus en plus des International Financial Reporting Standards (IFRS). La CF a pour objectif de satisfaire les
besoins informationnels des parties prenantes externes (ministères, autorités financières, actionnaires) pour lesquels des informations standardisées et comparables sont nécessaires afin d’évaluer les performances financières des entreprises.
La CFE constitue un prolongement de la CF traditionnelle: elle a pour but de différencier les événements commerciaux, économiques ou juridiques de nature environnementale ayant un impact financier direct, présent (dépenses, ventes) ou futur (dettes à long terme, provisions), sur l’organisation. Pour enregistrer les écritures comptables correspondantes, il faut satisfaire les mêmes règles comptables que pour tout autre événement comptable. La CFE implique généralement :
- La divulgation des provisions et passifs environnementaux;
- La publication de rapports synthétiques portant sur les dépenses et produits environnementaux : souvent classés par type d’action mise en oeuvre ou par thématique environnementale, on les retrouve dans les annexes des rapports annuels ou au sein des rapports RSE (tableau 1).
Tableau 1 : Dépenses environnementales consolidées de Séché Environnement(en millions d’Euros)
2. La Divulgation des externalités environnementales
Bien qu’elle fournisse de précieuses données sur les produits et dépenses environnementales, la CFE fait l’objet de critiques pour deux raisons principales :
- Elle ne fournit pas d’informations ni de preuves (a) sur l’efficacité écologique des mesures mises en oeuvre et (b) sur les avantages retirés par les parties prenantes.
- Elles ne prennent pas en compte les externalités environnementales négatives de l’entreprise car ces dernières ne peuvent pas satisfaire les critères pour la comptabilisation d’un passif : en effet, les externalités impliquent le sacrifice de futurs bénéfices économiques en faveur d’autres acteurs (individus, entreprises, collectivités) que l’entreprise n’est pas tenue de faire.
Par conséquent, de nombreuses voix se sont élevéespour réclamer la divulgation des externalités environnementalesau sein des états financiers annuels (Milne1996 ; Richard 2009). Le rapport environnemental de1990 de l’entreprise BSO / Origin est une bonne illustrationde ce qui peut être accompli dans cette optique(Huizing & Dekker, 1992). Des données environnementalesquantitatives (émissions atmosphériques - CO2, NOx, SO2, déchets solides, eaux usées) ont été convertiesen valeurs monétaires grâce à des outils d’évaluationéconomique ; ce qui a permis à BSO / Origin derendre compte d’une valeur ajoutée nette, représentantla différence entre la valeur ajoutée traditionnelle et laperte de valeur; cette dernière représentant les coûtsdes externalités de BSO / Origin moins les dépensesd’atténuation des impacts effectivement réalisées parl’organisation (tableau 3).
Si cette approche de reporting environnementalsemble séduisante et est susceptible d’engendrer desdébats animés avec les parties prenantes, on peutquestionner ses implications pratiques. Tout d’abord, elle n’engendre aucun décaissement pour l’organisationrendant des comptes. La perte de valeur deBSO / Origin ne correspond qu’au résultat d’un calculqui n’implique aucune partie contractuelle pour lesdiverses externalités en question, si bien qu’on pourraitla caractériser de dette symbolique envers la nature(Houdet et al., 2009a). En outre, l’élargissementde cette démarche aux externalités liées aux BSE seheurterait à de sérieux obstacles. On peut mentionnerle manque d’estimations fiables de telles externalités dufait d’un ensemble de facteurs, notamment (a) des difficultés d’ordre méthodologique (quantification et cartographiedes SE), (b) des controverses relatives auxhypothèses des différentes techniques d’évaluation utilisées(taux d’actualisation, représentativité des échantillons, neutralité des questions posées) ou encore (c) des coûts prohibitifs liés à la réalisation d’évaluationsspatiotemporelles appropriées (Chevassus-au-Louis etal., 2009). Comme le soulignent O’Connor et al. (2001), il est impossible de quantifier financièrement toutes lesexternalités environnementales des entreprises en raisonde l’existence d’une frontière à la monétarisation ; c’est-à-dire d’une capacité variable à attribuer des valeursmonétaires à des fonctions et services écosystémiquesnon-marchands, en fonction de l’importance oude l’ampleur des enjeux et du type de valeur mobilisé (par exemple, les valeurs d’existence de la biodiversitépatrimoniale).
Tableau 2 : Calcul de la valeur ajoutée nette de BSO / Origin en 1990(Huizing & Dekker, 1992)
3. Le Reporting environnemental extra-financier (REEF)
Mis au point indépendamment des SIC et des normes de comptabilité financière, le reporting environnemental extra-financier (REEF) rencontre un certain succès chez les entreprises souhaitant communiquer aux parties prenantes externes des informations relatives à leurs performances environnementales. Cela est certainement dû, au moins en partie, aux limites importantes des deux approches de reporting environnemental précédemment identifiées: la comptabilité financière environnementale et la divulgation des externalités négatives.
Le REEF consiste en la publication de données relatives à la performance environnementale de l’entreprise, généralement par le biais de rapports annuels Développement Durable. Selon la norme ISO 14031, qui décrit les procédés et les méthodes utilisés pour mesurer la performance environnementale, les entreprises ont à leur disposition trois grands types d’indicateurs environnementaux: les indicateurs portant sur les changements / impacts provoqués par l’activité (par exemple, le modèle Pression-Etat-Réponse), les indicateurs portant sur les processus (par exemple, le niveau de mise en oeuvre du système de gestion environnementale) et les indicateurs de résultats (par exemple, les indicateurs d’écoefficacité[1]). En général, les entreprises ont recours à un nombre réduit d’Indicateurs Clés de Performance pour communiquer leur performance aux parties prenantes externes, notamment des indicateurs portant sur l’efficacité de l’utilisation des ressources (consommation d’eau par unité de produits vendus) ou sur les émissions atmosphériques globales (gaz à effet de serre)
Le standard du GRI constitue la référence en matièrede REEF pour les entreprises souhaitant publier desrapports RSE. En matière de biodiversité, le GRI préconisel’utilisation d’un nombre limité d’indicateurs portantsur :
a) La présence d’éléments de biodiversité remarquable(espèces menacées, rares ou protégées) sur ou à proximité des actifs fonciers détenus ouloués par l’entreprise ;
b) Les impacts de l’entreprise sur la biodiversité etc) Les mesures mises en oeuvre pour mitiger ces impacts. Dans le même esprit, Michaël Jones propose un cadrecomptable destiné à rendre compte de la biodiversité(habitats, espèces) existant sur les actifs fonciers détenuspar tout type d’organisation (figure 1) : cette démarcherelèverait de la « direct accountability (and thusmeasurability) of an organization’s stewardship of itswildlife resources» (Jones 1996, p. 248).
Figure 1 : hiérarchisation de la criticité des inventaires naturels pour le reporting environnemental (Jones 1996, p. 291)
Même si l’approche comptable REEF offre aux partiesprenantes externes des orientations utiles par rapportaux risques, impacts et mesures de mitigation associésà la biodiversité, sa mise en oeuvre présente un certainnombre de limites relatives au contenu et à la portéedes informations divulguées :
- Les pratiques de reporting des entreprises sont loin d’être standardisées et systématiques: le choix des données est souvent arbitraire (études d’impacts dans les pays à faible capacité de régulation) en raison d’un ensemble de facteurs, notamment le manque (a) d’indicateurs consensuels (en particulier pour les BSE; van der Lugt et al., 2010) et (b) de sanctions contre la divulgation d’informations trompeuses ou la dissimulation d’informations clefs.
- La divulgation des impacts sur la biodiversité et des mesures de mitigation mise en oeuvre est essentiellement restreinte aux nouveaux projets nécessitant des d’études d’impacts environnementaux : les entreprises négligent souvent les impacts de leurs activités récurrentes et surtout ignorent en grande partie les impacts liés à leurs chaînes d’approvisionnement, en raison d’un prétendu manque de contrôle et d’influence sur les pratiques de leurs fournisseurs ou de leurs clients.
Le REEF n’a aucun lien direct avec les états financiers de l’entreprise (bilan et comptes de résultat), si bien qu’il ne peut jouer qu’un rôle limité dans la promotion de la prise en compte de la biodiversité. Plus précisément, il ne reflète pas les contributions des BSE aux activités de la firme et, par conséquent, il lui est impossible (a) d’évaluer les impacts financiers de ses dépendances aux BSE ou encore (b) de quantifier dans quelle mesure elle participe à l’utilisation durable des BSE ainsi qu’au partage équitable des avantages qu’elle en retire (Houdet et al., 2009; Houdet2010). »
[1] Le concept d’éco-efficacité établit un lien systématique entre CGE monétaire et physique pour la prise de décision Un indicateur d’éco-efficacité associe la valeur d’un produit ou d’un service, en termes de chiffre d’affaires ou de bénéfices, à son influence environnementale, en termes de consommation d’énergie, de matières ou d’eau, ou encore de génération de déchets et d’émissions de gaz (Verfaillie & Bidwell, 2000).