L’exposition de l’abeille à l’imidaclopride - L’utilisation du « mini-Kiosque aux indicateurs » pour la mise en évidence des enjeux de qualité de la connaissance scientifique dans le débat social

 

[1994] Bayer affirme qu’il n’y a pas d’exposition, car la matière active disparaîtrait dans la plante avant la floraison et donc l'imidaclopride appliqué sur la semence ne peut être présent dans la fleur. Suite au constat des symptômes d’intoxication en simultané avec la présence du Gaucho®, les apiculteurs suspectent toutefois la présence de la molécule dans les parties exploitées par l’abeille. Les organismes de l'État disposent, pour la période d’action systémique dans la plante, de la valeur déclarée par Bayer. C’est sur cette base que la Commission de Toxiques donnera son avis d’homologation. 

 

[1995-1997] Les études menées par Bayer concluent indifféremment à la stricte innocuité pour l’abeille du Gaucho® sur le tournesol (GVA, 2000, Curé, in AFSSA, 2002). Néanmoins, dès 1997, les faiblesses des méthodologies d'analyse utilisées par Bayer, qui concernent l'inadéquation entre les protocoles choisis et la biologie de l'abeille, sont constamment mis en évidence par les chercheurs du secteur public. En outre, des études et des expérimentations de terrain sont réalisées par les apiculteurs et par des services de l'état (CR de la réunion à la Direction des Services Vétérinaires de la Vendée le 29 septembre 1997, Chambre d'Agriculture de la Vendée, FDSEA de la Vendée, FDSEA des Deux Sèvres, 1999). Ces études mettent en évidence la présence des symptômes en présence du Gaucho® en traitement des semences de tournesol, en zones de grande culture, en l’absence d'autres possibles causes (ex. : climat défavorable, modifications génétiques de l’abeille ou du tournesol, maladies, autres pesticides). Au vu des résultats du premier rapport d’expertise (Belzunces et Taseï, 1997) et de l’avis de la Commission des Toxiques, le Comité d’Homologation conclut qu’« en l’état actuel des connaissances, le caractère toxique de ce produit sur les abeilles ne peut être ni confirmé ni infirmé » et demande des études supplémentaires.

 

[1998-1999] Les études réalisées par Bayer pendant cette période ne peuvent pas détecter ou quantifier la molécule (CST, 2003), à l’exception d’une étude de laboratoire, qui quantifie la molécule dans le tournesol Gaucho® à hauteur de 3,3 ppb dans le pollen et de 1,9 ppb dans le nectar (Stork, 1999, in CST, 2003). Le premier programme de recherches dans le domaine public (INRA, CNRS et AFSSA, 1998) constate la présence du toxique et des comportements anormaux des abeilles aussi bien dans les parties aériennes des plantes traitées que dans les plantes non-traitées. Ce dernier aspect amène les chercheurs à se poser la question de la persistance de la molécule dans le sol. Les techniques analytiques disponibles à l’époque permettent la détection de l’imidaclopride en dessous de 10 ppb, mais pas sa quantification. Les apiculteurs tentent, sur tout le déroulement des événements, de résumer les résultats des études réalisées aussi bien par Bayer que par des organismes de recherche publique ou du Ministère de l'Agriculture, et de les comparer avec leurs propres observations de terrain. L'objectif est de rendre ces résultats publics, afin de montrer la concordance entre leurs observations et les résultats scientifiques, dans un effort de mobiliser la société civile en faveur de leur cause. Le Conseil d'État décide que la toxicité peut être évaluée non seulement sur la base des expérimentations de terrain mais également sur le fondement des essais de laboratoire et ainsi trouve justifiée la décision du Ministre de l’Agriculture. Toutefois, la conclusion de la Commission des Toxiques reste ambiguë : les données examinées ne permettent pas de conclure à un effet indiscutable de l'imidaclopride ou de ses métabolites sur les abeilles et la production de miel. Inversement, il n'est pas possible d'exclure totalement l'effet de l'imidaclopride et de ses métabolites. En conséquence « Les risques encourus ne paraissent pas suffisants pour interdire l'utilisation de l'imidaclopride » et des études complémentaires sont nécessaires.

 

[2000-2004] Pour le dosage de l’imidaclopride dans le tournesol et le maïs Gaucho®, Bayer  communique une limite de quantification de 5 ppb. Concernant les résultats : « Les études Bayer, celles du CETIOM et celles des autres chercheurs montrent une exposition entre 0 et 5 ppb » (Curé, in AFSSA, 2002, pp. 33) (Figure 1, Figure 2).

 

 

Figure 1. Commentaires sur l’indicateur « Exposition », par Bayer

 

Ayant à sa disposition les résultats précis de l'expert Bayer, A. Stork, qui avait quantifié, dès 1999, l'imidaclopride dans le tournesol à hauteur de 3,3 ppb dans le pollen et de 1,9 ppb dans le nectar, Bayer choisit toutefois d’affirmer plus vaguement que « dans certains cas, l’analyse révélait la présence d’un résidu, mais inférieure à la limite de quantification. ».

 

 

Figure 2. Commentaires sur l’indicateur « Exposition », par Bayer

 

Les chercheurs remarquent néanmoins que, à l’époque de ces déclarations, la recherche publique disposait déjà depuis au moins une année d’une limite de quantification (validée ultérieurement par le CST) de 1 ppb et une limite de détection de 0,3 ppb pour le pollen (Bonmatin, 2001, in CST, 2003). Dans le pollen de tournesol et de maïs, l’imidaclopride était quantifié à l’hauteur de 3-4 ppb (Figure 3).

 

 

 

Figure 3. Commentaires sur l’indicateur « Exposition », par les Scientifiques

 

Les apiculteurs présentent systématiquement les données fournies par la recherche publique, dans le souci de garantir la transparence et de gagner la crédibilité du public (Figure 4).

Par exemple, en 2001, ils entreprennent l'évaluation détaillée des études disponibles (GVA, 2001) et concluent : « en conditions semi-contrôlées et contrôlées, des effets délétères sont observés pour des concentrations strictement de même ordre de grandeur que celles que l'abeille inévitablement rencontre sur le terrain, en période de floraison des cultures de tournesol et de maïs. »

 

 

Figure 4. Commentaires sur l’indicateur « Exposition », par les Apiculteurs

 

Pour montrer la spécificité de l’exposition des abeilles à l’imidaclopride, sur les cultures traitées Gaucho, ils s’appuient sur leurs propres observations de terrain et expérimentations (Figure 5).

 

 

Figure 5. Commentaires sur l’indicateur « Exposition », par les Apiculteurs

 

Comme pour les autres indicateurs scientifiques et pour les autres acteurs, les données d’exposition sont pour les apiculteurs « l’avant-scène » pour leur argumentation (favorable ou défavorable, en fonction du scénario évalué) portant sur les enjeux « Adéquation des procédures d’homologation aux insecticides systémiques » et « Cohérence institutionnelle : efficacité des procédures d’homologation » (Figure 6, Figure 7)

 

 

 

Figure 6. Valeur de l’indicateur « Exposition », pour la cellule Apiculteurs x Politique x Maintenir

 

 

 

Figure 7. Valeur de l’indicateur « Exposition », pour la cellule Apiculteurs x Tests x DefTourMaïs

 

Parmi les résultats scientifiques, en 2000, la Commission des Toxiques retient la valeur de 2-3 ppb pour d'imidaclopride dans le pollen du tournesol Gaucho®. Toutefois, l'argument du ministre de l'agriculture pour son refus d'interdire le Gaucho® en enrobage des semences de maïs (février 2001) a été que le maïs n'est pas une culture mellifère et en conséquence la présence de l’imidaclopride dans cette plante ne présente aucun risque pour les abeilles. Cette conclusion a été ultérieurement réfutée par le Conseil d'État (septembre 2002), qui retenait la valeur de 3 ppb dans le pollen de maïs, montrait le mal fondé scientifique de la conclusion du ministre et l’appelait à revoir sa décision.

 

Le Ministère de l’Agriculture, divisé ainsi entre des avis contradictoires, reste neutre (jaune) sur le rôle de l’indicateur « exposition » pour tous les enjeux pour lesquels il l’utilise (« Cohérence institutionnelle : efficacité des procédures d’homologation » et « Adéquation des procédures d’homologation aux insecticides systémiques »), dans tous les scénarios, à l’exception du scénario « Retirer l’AMM pour tous les usages agricoles de l’imidaclopride », dans lequel il considère l’évolution de l’indicateur comme étant inconnue (Figure 8, Figure 9).

 

 

Figure 8. Valeur de l’indicateur « Exposition », pour la cellule Ministère Agriculture x Politique x ProvTourMaïs

 

 

Figure 9. Valeur de l’indicateur « Exposition », pour la cellule Ministère Agriculture x Tests x StopTousUsages

 

Les valeurs validées par le CST sont de 3,3 ppb et  3,5 ppb (pollen de tournesol et de maïs) et de 1,9 ppb (nectar de tournesol) (CST, 2003).