La biodiversité du point de vue des entreprises - Comment appréhender la biodiversité ? Quels sont les besoins ?
« La prise en compte de la biodiversité par les entreprises, aussi bien au niveau des sites de production que de l’élaboration de leur stratégie, est souvent inconsciente et indirecte, renvoyant à des connaissances tacites ou correspondant au fruit de l’engagement personnel de certains collaborateurs. Au mieux, il s’agit d’une démarche émergente, en pleine phase de formalisation pour les organisations les plus proactives au regard de leur responsabilité sociale et environnementale. Les systèmes de management environnementaux actuels, reposant sur une démarche dite d'amélioration continue, ne répondent malheureusement pas encore aux défis posés par des écosystèmes de plus en plus dégradés. Les indicateurs de performance utilisés ne renvoient qu’à une partie des composantes et dynamiques des écosystèmes, c’est-à-dire essentiellement à la gestion des ressources (consommation en eau), et à la maîtrise des émissions et effluents.
Pour les entreprises, la première difficulté réside dans la complexité inhérente à la biodiversité, d’où les problèmes rencontrés dans la définition d’objectifs précis, la construction de batteries d’indicateurs appropriés et la prise de décisions. C’est pourquoi des obstacles se matérialisent rapidement lorsqu'il s'agit d’agir concrètement en faveur de la biodiversité, la mesure des résultats nécessitant souvent un engagement sur le long terme (Delannoy, 2006 ; Houdet et Loury, 2007). Malgré des avancées en ingénierie écologique, l’expertise reste aujourd’hui peu diffusée et se limite essentiellement à des études de cas sur de grands projets d’infrastructures ou des sites industriels majeurs.
Sur le terrain, les promoteurs, concepteurs et gestionnaires de sites industriels sont confrontés quotidiennement à des choix épineux. À titre d’exemples, quels groupes taxonomiques privilégier pour le suivi de la biodiversité dans le contexte de ressources budgétaires limitées ? Quel état initial considérer pour la maîtrise et la compensation des impacts ? Comment concilier les besoins et attentes des parties prenantes souvent contradictoires au niveau des territoires, comme produire de l’hydroélectricité – une “énergie renouvelable”, tout en assurant un bon état écologique des milieux aquatiques ? En termes de stratégies d’approvisionnement, quels sont les leviers pour inciter la chaîne de production à produire autrement, en particulier si l’entreprise se situe dans un rapport de force client – fournisseur qui lui est défavorable ? Comment mettre en place des plans d’action efficaces et systématiques, et surtout comment opérer de véritables changements de perceptions au sein des équipes à traduire en innovations technologiques et organisationnelles ?
Si les entreprises sont au premier plan d'une démarche de réintégration de l’économie dans le tissu du monde vivant, il s’agit bien de dépasser les recommandations générales face à ce type de problématiques. Quels rôles peuvent-elles jouer dans la lutte contre l’érosion croissante de la biodiversité? Or, comme dans un nombre croissant de situations, à l’image des conséquences des changements climatiques ou des problèmes de santé publique, on ne peut pas rendre compte de l'incertitude par une distribution de probabilité : nous sommes réellement en situation incertaine et pas seulement risquée (Henry, 1974 ; 2005). Pour répondre à ces attentes, le groupe de travail IFB - Orée s’est accordé sur la nécessité de dépasser l'approche traditionnelle consistant à analyser et maîtriser les impacts de l’entreprise sur la biodiversité. L’approche préconisée consistait à identifier en quoi la biodiversité est un élément qui peut intervenir dans les stratégies des entreprises. Les premières réunions du groupe de travail en 2006 ont permis de créer une situation initiale et de définir un vocabulaire commun ; d’avoir un premier aperçu de ce que chacun pense de la biodiversité dans l’optique de positionner l’entreprise vis-àvis de celle-ci. Il en est ressorti que la biodiversité est perçue par les entreprises à la fois comme :
- Une condition d’existence,
- Une source de matières premières, de technologies et de produits,
- Une source de profits,
- Un enjeu de coûts privés de production,
- Et un enjeu de coûts sociaux à travers les possibles dommages aux écosystèmes et aux surcoûts engendrés pour les communautés humaines. »