L’espace Évaluation de la Qualité de la Connaissance (EQC)

 

L’espace ECQ présente un état des lieux des méthodes et des outils qui ont été proposés pour « la prise en compte de l’incertitude » dans les interfaces science – société. Son objectif est essentiellement pédagogique, d’initiation au concept d’incertitude et à ses usages pour le  public chercheur, enseignant et étudiant français. Son contenu actuel exploite, en très grande mesure, les développements réalisés dans le cadre de l’école de pensée de la science post-normale, notamment par Jeroen van der Sluijs (Pays Bas) et par l’équipe KAM (Knowledge Assessment Methodologies), rattachée au JRC (Joint Research Centre) de la Commission Européenne.

La structuration des outils d’évaluation de la qualité de la connaissance suit cinq axes :

·      

localisation de l’incertitude ;

·      

nature de l’incertitude ;

·      

ampleur de l’incertitude ;

·      

qualification de la base de connaissances ;

·      

charge en valeurs.

 

Parmi les outils d’évaluation de la qualité de la connaissance proposés, un des plus utilisés est NUSAP.

[1]

Il s’agit d’un système de notation élaboré par Funtowicz et Ravetz (1990), qui vise à fournir un diagnostic de l'incertitude dans la base de connaissance des problèmes complexes. NUSAP qualifie l'information quantitative au moyen des cinq critères : Nombre (la quantité qui est évaluée), Unité (son unité de mesure), Dispersion (le degré de variabilité des mesures de la quantité respective, i.e., l’écart type), Évaluation (qui exprime un jugement expert sur la confiance qu’on peut avoir dans la quantité respective), et Pedigree (une évaluation experte du processus de production de l'information).

Nous avons employé le concept d’incertitude pour analyser le rôle du contexte socio-économique sur la construction de la « preuve »

[2]

concernant les relations causales, dans des situations de controverse. À cette fin et pour inclure des types différents de connaissance dans notre analyse, nous avons proposé la définition suivante : « l’incertitude se réfère à la situation dans laquelle la preuve sur un changement environnemental  (d’intérêt pour au moins une catégorie d’acteurs) est perçue comme étant peu concluante pour l’explication des mécanismes causaux, de la nature et de la magnitude de ce changement ».

Le concept de « construction sociale de l’incertitude » rend compte de l’influence de plusieurs facteurs  sur les résultats de la recherche: la compétence, l’appartenance institutionnelle, la dépendance financière, la responsabilité de l’expert et les stratégies discursives des acteurs pour communiquer la connaissance (scientifique ou profane) dans un débat social, etc.

 

L’hypothèse de départ de nos constructions méthodologiques (qu’on a testée, par application des modules EQC auxquels nous faisons référence ici, dans le grain en relation ‘La création discursive de l’incertitude dans le débat autour de l’origine multifactorielle des troubles des abeilles en France : la démarche utilisée) est que la preuve proposée par les divers acteurs pour définir « le problème » contient implicitement des propositions de solution favorables à leurs propres enjeux sociaux et économiques. Les acteurs (et « leurs » experts) peuvent utiliser stratégiquement la science dans les débats publics (Hellström, 1996, Van der Sluijs, 2006). Dans certains cas, l’existence des expertises contradictoires peut être le résultat d’une « construction de l’incertitude », qui vise à prolonger le débat (Committee of Experts on Tobacco Industry Documents, 2000, Michaels, 2005, Maxim and Van der Sluijs, 2007).

 

Pour Hajer (1995), les « coalitions discursives » qui se forment autour de la définition d’un problème (« narratif ») visent à orienter la décision politique. Les débats scientifiques, qui impliquent des enjeux importants pour les acteurs directement concernés par conséquences de leurs résultats en termes d’action politique, peuvent devenir des processus dans lesquels l’incertitude est le résultat des transformations et de la « ré-création » des faits scientifiques dans les discours des acteurs (Funtowicz and Ravetz, 1990, 1991, 1993, Michaels, 2005, Maxim and Van der Sluijs, 2007).

 

Des exemples comme celui de l’industrie du tabac, qui avait produit « la science adéquate » pour la défense de ses propres intérêts, sont maintenant des références pour la compréhension de l’influence de la dépendance institutionnelle et financière des experts sur la qualité de leurs recherches (Committee of Experts on Tobacco Industry Documents, 2000). Dans le même esprit, Krimsky (2005) a montré l’influence croissante de l’ « effet-financement » sur les relations entre la science et l’application de la loi.

 

Les dimensions structurantes génériques pour la révélation (qui est ici synonyme à « évaluation ») du domaine socio-économique de l’incertitude, que nous avons mobilisés dans les deux modules EQC proposés, sont :

·      

« objets scientifiques » contestées ;

·      

critères d’évaluation ;

·      

acteurs ;

·      

enjeux.



[1]

NUSAP est l’acronyme de Numeral, Unit, Spread, Assessment, Pedigree. 

[2]

Pour une discussion du concept de « preuve », voir le chapitre 5.