La rencontre entre « l’offre » et « la demande » d’information

On peut décrire la structuration de l’interface entre KerAlarm et ses utilisateurs comme une logique de rencontre entre « l’offre » et « la demande » d’information sur la biodiversité. Le niveau de la production (offre) de l’information est alimenté par les chercheurs et par les divers utilisateurs qui interviennent dans l’outil, dans les espaces où cette possibilité est créée (e.g., la FKI, le Jardin Virtuel…). Le niveau de la demande d’information est caractérisé par le besoin de donner un sens à l’information, car l’utilisateur aborde l’outil avec une question, une préoccupation, un intérêt. Or, le sens est donné par le contexte d’utilisation de l’information. Nous proposons de penser que les relations entre « l’offre » et « la demande » d’information sont régies par certains mécanismes cognitifs, dont l’identification est nécessaire pour « faire rencontrer l’offre et la demande ».

 

La demande est composite et suppose plusieurs niveaux. Dans certains cas, elle est définie explicitement (les utilisateurs savent quelle est l’information qu’ils s’attendent à trouver dans l’outil, par exemple sur les risques d’invasion par telle ou telle espèce du Sud de l’Europe, dans les divers scénarios de changement climatique). Par contre, pour d’autres utilisateurs la demande n’est pas clairement définie, ils ne savent pas quelle est l’information qu’ils attendent, mais ils entrent dans l’outil avec une certaine problématique (e.g., il y a de moins en moins de moineaux dans la région, que peut-on faire ?) ou tout simplement par curiosité.

 

Chaque espace de KerAlarm permet le croisement entre les dimensions de l’offre et de la demande selon des modalités spécifiques :

·       entre la connaissance scientifique et la signification sociale de la biodiversité - dans le Jardin Virtuel (qui est structuré par le croisement de trois dimensions : types d’écosystème x types de services environnementaux x changements dans les services environnementaux) ;

·       entre les méthodes de production / d’intégration de l’information et les principes de construction du système d’analyse - dans l’espace Methodo (types d’informations produites par les sciences de la vie x types d’informations produites par les socio-économistes) ;

·       entre les caractéristiques du réel (social, économique, écologique, politique) et les préoccupations des acteurs - dans l’espace Enjeux (dimensions de durabilité des systèmes x discours des acteurs) ;

·       entre les activités qui influencent ou sont influencées par les changements de biodiversité et les catégories sociales qui les subissent ou les produisent, dans l’espace Acteurs (types de services environnementaux x usagers) ;

·       entre les jugements des acteurs sur les diverses options de choix et les critères pour leur évaluation, dans l’espace Matrice (acteurs x enjeux x scénarios) ;

·       entre les axes de représentation de l’information et leur pertinence pour les utilisateurs, dans la FKI (dimensions de l’observation / de la production de la connaissance x dimensions de l’utilisation de la connaissance : échelle x site x acteurs x scénarios x enjeux x qualité de la connaissance ;

·       entre les visions du futur et les changements qui leur sont associés, dans l’espace Scénarios (temps x enjeux x forces motrices x changements de la biodiversité) ;

·       entre les axes de pertinence de l’information en rapport avec les usages envisagés, dans l’espace EQC (localisation de l’incertitude x nature de l’incertitude x ampleur de l’incertitude).

 

Les modes d’interaction de l’utilisateur avec KerAlarm sont structurés de telle sorte qu’elles facilitent les processus d’apprentissage, de production et de choix de l’information mobilisés en conditions d’incertitude. Il s’agit pour l’utilisateur, à la fois, d’entrer en contact avec une information nouvelle, d’amener sa propre connaissance dans l’outil, de choisir, parmi les informations produites par d’autres personnes, celles qui répondent à ses besoins et de les enrichir afin d’amener un apport personnel à la définition de la problématique en jeu. On peut donc distinguer plusieurs processus mobilisés dans l’outil : découverte – apprentissage, contribution (production d’information) et choix (selon la « qualité » de l’information).

 

Certains espaces dans KerAlarm se destinent au niveau individuel de la décision (e.g., le Baromètre personnel prévu pour l’espace Acteurs), tandis que d’autres visent les processus collectifs (e.g., l’espace Matrice de Délibération). Il ne faut pas perdre de vue que nous gardons toujours à l’esprit la différenciation des deux dimensions d’appréciation de la qualité de l’information, à savoir l’incertitude (qui porte sur les dimensions substantive, procédurale et contextuelle) et l’indétermination (qui porte sur l’imbrication entre connaissance et valeurs). Ces dex dimensions nous fournissent une « grille d’interprétation » de KerAlarm. On peut ainsi sire que cet outil d’aide à la délibération permet, en poursuivant une démarche d’assurance de la qualité de la connaissance, de répondre à trois défis : les enjeux distributifs, la connaissance limitée et la multiplicité des perspectives sur les objectifs de la décision (pour en savoir plus, voir signalés chapitre 5 de Maxim, 2008). En associant la science et les parties prenantes dans un processus de dialogue sur la gouvernance des risques, KerAlarm propose une démarche d’analyse socio-économique environnementale et des pratiques d’évaluation participative. 

L’outil facilite la rencontre entre l’offre et la demande d’information par plusieurs moyens :

·       des concepts (e.g., la notion de service environnemental, au croisement des significations écologiques et sociales de la biodiversité) ;

·       des méthodes (e.g., le DPSIR tétraédrique, qui établit un pont entre les interactions entre les systèmes et les représentations que les acteurs s’en font) ;

·       la structure même de l’outil ; le principe des parcours cognitifs (aussi appelés parcours d’apprentissage) propose une vision constructiviste des modes dans lesquelles les gens intègrent les informations nouvelles, produisent des nouvelles informations, mettent à la disposition d’autres gens les informations issus de leur propre expérience, et choisissent parmi les informations déjà existantes (e.g., l’information est structurée selon des niveaux de détail différents ; chaque espace permet le croisement et donc les connexions entre des dimensions différentes de la problématique) ;

·       le principe de la « découverte progressive de l’information », qui est appliqué pour la communication de l’information scientifique. L’accès à l’information scientifique débute typiquement par des objets empiriques et des cartes faciles à interpréter (etc.), et se poursuit vers des modèles analytiques plus compliqués et des explications des informations associées aux données, pour enfin arriver à des présentations et discussions des hypothèses sous-jacentes, des incertitudes, des controverses sur la connaissance scientifique ;

·       les modes d’utilisation prévus pour l’outil ; en fonction de son degré préexistant d’information, l’utilisateur peut choisir une visite guidée, une visite libre, répondre au questionnaire du Générateur de Scénarios, délibérer dans la Matrice, évaluer ses propres interactions avec la biodiversité dans le Baromètre Personnel… ;

·       le système exploite les capacités de « hiérarchie confondue » ouvertes par les technologies numériques, notamment des hyperliens. Ces modalités pour relier les informations fournissent, ancré dans le monde virtuel et de ses composantes, une documentation compréhensive des caractéristiques du monde réel. 

Les utilisateurs du système sont à la fois des producteurs et des demandeurs d’information, tout comme des sources permettant l’émergence structurée de connaissances nouvelles sur la situation en jeu. Ils mettent à la disposition des autres de l’information (issue de leur propre expérience, soit-elle privée ou professionnelle) (offreurs), et réalisent en même temps une sélection, selon leurs propres besoins, de l’information déjà existante (demandeurs). Ils produisent de l’information, selon les opportunités d’expression données dans l’outil (offreurs), et intègrent de nouvelles connaissances offertes par les autres, dans un processus d’apprentissage (demandeurs).