L’agriculture durable : un consensus difficile à trouver au plan mondial autour d’un concept plus politique que scientifique
Theys (2001) souligne les ambigüités «d'un concept essentiellement politique et normatif (le développement durable) avant d'être un concept produit ou interprété par les différentes disciplines scientifiques».
On retrouve en agriculture cette multiplicité des modèles de développement. Ainsi Husle (2008) rapporte que dès 1991 la commission scientifique du Conseil international pour la science (International Council of Scientific Unions - ICSU) a examiné quelque 300 publications sur le sujet afin d'établir un rapport sur l'agriculture durable et la sécurité alimentaire pour le compte de la Conférence des Nations Unies sur l'environnement et le développement de 1992 (ICSU-CASAFA, 1991). Cette commission souligne que l'agriculture durable y est abordée sous des angles scientifiques, pseudo-scientifiques, biologiques, écologiques, idéologiques ou philosophiques très divers. Il est également fait état de plusieurs publications significatives, tels que Agriculture Canada (1989), Altieri (1987), Boeringer (1980), Brown (1987), Brundtland (1987b), Bunting (1987), CGIAR/TAC (1989), Edwards et al. (1990), FAO (1984), Harwood (1990), Jain (1983), Reganold et al. (1990), Swaminathan et Sinha (1986).
Dès que l'on cherche à définir des systèmes de productions agricoles qui seraient applicables dans tous les écosystèmes et en tout point du globe, la confusion s'installe. Le rapport de l'ICSU-CASAFA (1991) souligne la diversité, l'incohérence, voire le caractère contradictoire des définitions et recommandations entourant l'agriculture durable: «Il n'est d'aucune pertinence de proposer des systèmes de production censés s'appliquer de manière durable dans tous les milieux écologiques, dans toutes les régions et dans toutes les sociétés. Aucun système spécifique ne peut convenir durablement à toutes les situations (...). Les organismes donateurs ne devraient pas tenter d'imposer aux agriculteurs pauvres des pays en développement des systèmes conçus à la base pour pallier les pratiques génératrices de gaspillages qui sont implantées dans les économies agricoles plus prospères».
A l'occasion du Sommet mondial de l'alimentation de 1996, plusieurs objectifs ainsi que différentes recommandations se rapportant à l'agriculture durable sont également mis en avant (Hulse, 1995) :
- Atteindre une production agricole acceptable et adéquate sur le plan des quantités, de la variété et de la qualité.
- Maintenir des environnements favorables aux humains et autres organismes vivants.
- Prévenir la pollution des eaux superficielles et souterraines; protéger la nature ainsi que les droits des animaux.
- Empêcher ou limiter la destruction et la détérioration des terres fertiles par l'érosion, l'étalement urbain ou les activités néfastes pour l'agriculture.
- Établir et maintenir les infrastructures rurales indispensables à la production et à la commercialisation des produits agricoles.
- Protéger les écosystèmes naturels et privilégier la conservation à long terme plutôt que l'exploitation à court terme.
- Favoriser le recyclage des nutriments et maintenir un bon équilibre entre l'utilisation immédiate et la stabilité à long terme.
Il est toutefois indéniable que les systèmes agricoles doivent être suffisamment durables pour répondre aux besoins d'une population mondiale croissante, défi d'autant plus important que la croissance démographique la plus marquée est celle des collectivités urbaines et que le nombre des producteurs ruraux diminue proportionnellement. C'est pourquoi lors de cette conférence, Hulse rapporte que «certains observateurs provenant principalement des pays en développement », soulignent que les systèmes «durables» ne sont pas nécessairement des systèmes économes en intrants et qu'il importe de ne pas refuser de façon systématique les intrants de synthèse utiles pour maintenir la fertilité des sols pauvres. Les technologies modernes ne doivent pas remplacer les pratiques traditionnelles, mais les compléter (Jain, 1983). Ce débat sur la question du progrès technologique dans l'agriculture durable est aujourd'hui le plus fort avec la question des OGM.
Quelle que soit la manière dont on la définisse, par son objectif ou par ses pratiques, l'agriculture durable dépend entièrement de la quantité et de la qualité de l'eau (problème de salinisation notamment) ainsi que des terres arables disponibles. Or, ces deux ressources rares diminuent chaque année. Les terres arables et l'eau non polluée sont à l'échelle mondiale en train de devenir les deux principaux déterminants de l'agriculture durable de l'avenir.
En définitive, les recommandations et les points de vue sur les moyens de progresser vers une agriculture durable sont très divergents selon les régions étudiées, les milieux écologiques, les technologies et, d'une manière générale, les conditions environnementales, climatiques, sociales et économiques mais aussi en fonction du mode d'alimentation retenu (priorité aux protéines animales ou aux protéines végétales).