Jeudi 12 déc - Séance 7 "Le territoire comme théatre de conflits et de reconciliations" - Intervention du Dr. Allaire (INRA)
- Une approche évolutive Comment définir l'agroécologie? C'est d'abord l'idée d’une application agronomie/écologie, englobant des stratégies de développement: il s'agit d'une gestion durable des agrosystèmes interrogeant le mode de formation scientifique et d' une vertu technique visant à améliorer profits et soutenabilité. Jusque récemment présentée comme une science, une pratique ou mouvement en particulier, cette vision au singulier a été abandonnée et remplacée par la vision plus complexe d'une agroécologie comme cadre politique dans lequel s’inscrit l’écologie. Aujourd’hui, c'est un concept fédérateur entre disciplines scientifiques, économiques et sociologiques Dans les années 90, des partenariats agroécologiques sont créés et trois discours se croisent: un discours populiste qui prône l'agroécologie pour une meilleure santé et un mode de vie plus sain, un discours managérial qui voit en cette transition des vertus techniques améliorant les profits et la soutenabilité, ainsi qu'un discours scientiste en faveur du développement de techniques de pointes. (Cf Warner K.D., 2008. Agro-ecology as Participatory Science, Emerging Alternatives to Technology Transfer Extension Practice”. STHV)
- Agroécologie et productivisme L'agroécologie est ensuite vue comme une technoscience et certains auteurs (cf Noleppa S., von Witzke H., Carsburg M.) font l'éloge du productivisme à travers elle: c'est une prise de position purement économiste. Néanmoins, cette ode au productivisme est remise en question avec la crise écologique qui apparaît en même temps qu'une crise du développement; « the Foresight Exercise » (cf Freibauer, A., E. Mathijs) met en avant et oppose deux grands récits: l’un basé sur la productivité centrée sur le marché, l'autre sur la notion de suffisance : pourquoi avons-nous besoin d'être toujours plus productifs? Est-ce pour nourrir le système économique ou est-ce parce que nous avons peur de manquer de denrées alimentaires?
- Les mouvements sociaux de résistance Derrière l'agroécologie, plusieurs types de mouvements sociaux apparaissent contre l'expropriation, en faveur de l'émergence circuits courts, du localisme, de la reconquête des communs, etc. Au départ, ces mouvements ne sont pas forcément porteurs de sens mais peuvent être réactionnaires comme le végétarisme, mais ils prennent progressivement de la valeur pour la société et deviennent un choix de vie. • Les métabolismes sociaux ou les rapports entre nature et société Des travaux sur ces questions ont été menés par un groupe de chercheurs autrichiens (cf Haberl, Helmut, Marina Fischer-Kowalski, Fridolin Krausmann, Joan Martinez-Alier, Verena Winiwarter). Le principe est d'observer ce qui se passe au sein de la société lorsqu'une composante est modifiée afin de l'aborder comme un système complexe où tout est lié: il s'agit de construire ce métabolisme en identifiant des indicateurs variés : les flux (de matières, financiers, humains...), la consommation et les usages des ressources, la répartition des richesses, de la terre, les pratiques sociales, la pollution, etc...
- La modernisation de l’agriculture Les facteurs clés de la dynamique de l'industrialisation tiennent aux transformations sociales et au progrès scientifique. Au 19e siècle, l'agriculture familiale se développe fortement avec l'accès à la terre. Le maintien de la fertilité de la terre est une compétence fondamentale de l'agroécologie: l'enjeu majeur de l'agriculteur et de l'agronome est de maintenir la fertilité de la terre, ainsi la technoscience tend à se substituer aux pratiques traditionnelles avec la modernisation agricole. Avec la modernisation, on passe également des communs locaux à des communs industriels et globaux: par exemple, une race de vache devient un commun industriel, il dépasse largement l'échelle locale. La modernisation ne repose non plus sur des communs locaux mais sur de vaste communs, l'industrialisation et la sélection génétique menaçant de disparition une certaine biodiversité.
- Hirschman: l’économie tendue et le relâchement D'après cet économiste né en Allemagne mais de formation américaine, à tout moment, il y a un surplus de production et donc une place pour le relâchement; hors avec l'industrialisation de l'agriculture, nous n'avons pas la liberté de ne pas produire d’excédent, donc cette situation d’excédent et une situation de contrainte. Cela entraîne une conduite sociale aussi rigoureusement réglée et déterminée qu’elle le serait dans une société de stricte subsistance!
- George Bataille: faire de la « part maudite » la « part des anges » Le principe est de partir d’une économie généralisée où depuis le début on est confronté à un surplus d’énergie produite et dépensée. La part maudite est le fait de dépenser (travail, temps, énergie, sueur) pour nourrir les oisifs, qui donnent en échange une compensation patrimoniale et institutionnelle comme les châteaux et les églises par exemple. La part des anges est l'industrialisation qui consiste à capter et dépenser toujours plus d'énergie pour alimenter ce système. La part des anges s'évapore car le surplus produit est détruit lors de guerres ou d'épidémies, posant un problème de suffisance et de valeur car malgré le surplus produit, il y a pénurie et inégalités. Aujourd'hui, la consommation de la part maudite passe en grande partie dans la bureaucratisation et dans l'administration. Ces problèmes de suffisance et de valeur poussent à penser la désindustrialisation non pas à travers un principe de décroissance, mais à travers un principe de plaisir. Gilles Allaire conclut sa présentation sur la réflexion suivante: l’industrialisation et les dépenses énergétiques ne peuvent pas continuer à ce rythme, il faut donc avoir une perspective de désindustrialisation de l’agriculture. Cela signifie une transition agroécologique. Toutefois, il ne faut pas faire cette transition au nom d’une morale fermée basée sur la constatation de manques, mais en regardant à la fois les déséquilibres et le surplus afin de relier ces deux idées et d'observer la manière dont la part maudite est compensée, sans oublier de répondre aux inégalités de suffisance et de valeur. Ces enjeux communs conduiront-ils vers une conscience commune ?
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Article écrit par Isabelle Gauthier (Etudiante Master MEDIATION UVSQ)