Étape 2 : Identifier et structurer les acteurs

Avant d’entamer un processus délibératif, il est nécessaire d’identifier l’ensemble des acteurs et de présenter une classification pragmatique par catégorie. Un exercice participatif n’est pas à l’abri d’une exclusion des acteurs les plus faibles au profit des plus forts. Si la représentativité des parties prenantes est inadéquate, la pertinence et la représentativité des résultats pourraient être remises en question. Cette volonté de participer peut être faible pour les acteurs non actifs (avec un niveau faible d’implication dans la communauté), exclus (minorités, etc.) et ceux qui ne peuvent pas participer par manque de temps ou d’argent (coût de transport, perte d’une journée de travail, etc.). En outre, les acteurs peuvent se sentir peu concernés lors de changements à long terme, là où il n'y a pas urgence. Ainsi, le repérage et la désignation des acteurs invités à participer au débat s’avèrent une étape fondamentale dans la mise en œuvre d’un processus participatif.

 

La notion d’acteur peut être assimilée à celle de parties prenantes ou de stakeholders. Freeman (1984, p.46) définit les stakeholders comme « individu ou groupe d’individus qui peut affecter ou être affecté par la réalisation des objectifs organisationnels ». D’autres définitions suivront celle de Freeman, cherchant à préciser le concept en intégrant de nouveaux éléments, plus restrictifs et/ou descriptifs. Cet engouement entraîne une certaine confusion conceptuelle, liée à la multiplicité des niveaux d’analyse et aux différents sens qui lui sont accordés.

 

Dans les cas d’étude sur la Communauté de communes du Dourdannais en Hurepoix et la Bergerie nationale de Rambouillet, le concept de Freeman est intéressant car il permet, dans la réflexion sur la responsabilité sociale des agriculteurs, la désignation des acteurs en jeu aux côtés de l’exploitation agricole et ainsi l’identification des figures de l’émetteur et du récepteur d’externalités. Les parties prenantes, dans leurs définitions de la performance de l’activité agricole, attendent des exploitations qu’elles rendent compte de la manière dont elles conduisent leurs activités et assument leurs impacts sur l’environnement, les riverains, les consommateurs, etc. Dans cette thèse, nous ne nous donnons pas la prétention de définir à nouveau ce concept et nous nous contentons de donner ci-dessous les informations nécessaires à la compréhension et à la délimitation de ce concept pour notre démarche.

 

Nous considérons un acteur comme une catégorie homogène de plusieurs « micro-acteurs » regroupés selon leurs rôles ou leurs fonctions sensiblement voisins et qui deviennent des « participants » lorsqu’ils entrent dans une démarche participative. Par usage, un acteur va être celui (1) qui prend une part active dans un processus décisionnel ou (2) qui a un rôle à jouer car il a un intérêt dans le résultat de la décision ou (3) qui est concerné ou qui subit le processus sans agir directement mais seulement par l’intermédiaire d’un représentant qui lui-même est un acteur. Il peut être un individu isolé, un groupe d’individus, un corps constitué ou une collectivité.

 

Dans un processus décisionnel complexe, il existe une pluralité d’acteurs aux motivations différentes, avec leurs systèmes de valeurs, leurs enjeux et leurs contraintes. La décision d’un acteur va aussi dépendre de celles des autres. En effet, chaque acteur trouve un intérêt à ne pas se dévoiler complètement, à cacher ses faiblesses, ou à faire croire qu’il détient des informations qu’il n’a pas en réalité. De plus, certains acteurs poursuivent des objectifs divers, plus ou moins explicites, plus ou moins ambigus et parfois contradictoires. Ils peuvent en changer en cours d’action, en rejeter ou en découvrir d’autres, si des conséquences souvent imprévues les obligent à reconsidérer leurs positions. Le comportement des acteurs a deux aspects : d’un côté, l’offensive pour la saisie d’opportunité en vue d’améliorer leurs situations ; de l’autre la défensive pour maintenir voire élargir leurs marges de liberté et donc leurs capacités à agir. La décision va alors découler du jeu de tensions et de relations de pouvoir entre les différents acteurs du processus décisionnel (Le Dars, 2004).

 

Deux types de construction existent pour identifier et décrire les acteurs : la première a pour objectif d’examiner ce qu’ils font – c'est-à-dire comment ils agissent au sein de la société, et la deuxième de décrire ce qu’ils pensent et croient et comment ils organisent leurs connaissances du monde et de la société (van Dijk, 1997). La typologie que nous avons utilisée pour l’identification et la classification des acteurs de l’activité agricole répond du premier type de construction.

 

Nous avons suivi la typologie proposée par Faucheux et Nicolaï (2004a; 2004b) qui a initialement été créée pour déterminer les parties prenantes de grandes entreprises. Cette typologie classifie les parties prenantes en trois groupes principaux, chacun comprenant une ou plusieurs catégories d’acteurs. Chacune va contenir plusieurs acteurs.

Ö         Les parties prenantes « internes » (les acteurs ayant des intérêts économiques directs dans l’exploitation).

Ö         Les parties prenantes « externes traditionnelles » (les acteurs ayant une importance commerciale directe pour l’exploitation, par exemple des fournisseurs, clients, banques, etc.,).

Ö         Les parties prenantes « externes élargies » (les acteurs qui affirment leur intérêt dans la performance de l’exploitation, par exemple, des associations, entreprises partenaires, autorités locales).

 

La distinction faite entre (a) « externe traditionnelle » et (b) « externe élargie » correspond, peu ou prou, à la différence entre (a) le regard des parties prenantes qui ont un intérêt direct, au sein de la sphère économique, pour l’entreprise, et (b) le regard des parties prenantes qui affirment leur intérêt dans la performance de l’entreprise par rapport aux sphères sociale et environnementale. Nous ajouterons à ces trois groupes principaux, celui d’« autorités coordinatrices » dans la mesure où les activités agricoles sont très fortement influencées par les politiques agricoles et rurales promulguées au niveau européen et national.

 

Pour éclairer ces différentes notions, prenons l’exemple de l’exploitation de la Bn. Le groupe « autorités coordinatrices » était composé de deux catégories d’acteurs : « collectivités locales » et « institutions de tutelle ». La catégorie d‘acteurs « collectivités locales » était composée de trois acteurs : la région, le département et la mairie. Nous avons consulté un participant pour chacun de ces acteurs. Il est possible de faire participer autant de participants que souhaités pour chaque acteur.

 

Ensuite pour identifier les personnes à contacter au sein de ces catégories d’acteurs, nous avons utilisé la méthode dite boule de neige (Snowball Method) qui vise à élaborer un réseau à partir des connaissances personnelles des personnes rencontrées. Pour augmenter la probabilité de couvrir le spectre complet des valeurs et des points de vue opposés, on demande spécifiquement aux personnes rencontrées de citer les noms de ceux avec qui ils sont en désaccord. Idéalement, le processus s’arrête quand aucun nom nouveau n’est mentionné. Une limite importante de cette méthode est qu’elle exclut les acteurs aux intérêts peu organisés (Van der Sluijs, Risbey et al., 2003, p.17-24). Lors des entretiens ou réunions préliminaires (sous-étape 4), il a été demandé aux acteurs de proposer des catégories d’acteurs, des acteurs ou des noms de personne qu’il semblait important d’inclure dans le processus. Au moins une personne a été contactée pour chaque catégorie d’acteurs puis intégrée – autant que faire se peut – dans le processus participatif.

 

L'identification des acteurs est un art en soi, et il n'existe aucun moyen simple d’éviter toutes les formes de biais de sélection. La démarche proposée par Faucheux et Nicolaï (2004a) permet de classifier les acteurs en amont des interviews. La méthode dite boule de neige va valider, infirmer ou faire évoluer cette classification et d’identifier les noms de personnes au sein de ces catégories. Les deux méthodes vont se compléter de part les sources d’informations distinctes auxquelles elles font appel et ainsi limiter le risque d’oublier les acteurs ayant des intérêts peu organisés.