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Soutenance de Thèse de Anne Blanchard ce 21 décembre: Reflexive Interdisciplinarity. Supporting the dialogue on the role of science for climate change
DETAILS
Anne Blanchard défendra sa thèse intitulée "Reflexive Interdisciplinarity - Supporting the dialogue on the role of science for climate change" ce 21 décembre 2011, à Bergen en Norvège.
Cette thèse de doctorat porte sur l’interdisciplinarité mise en œuvre dans le cadre de problématiques en lien avec le changement climatique. L’interdisciplinarité a trouvé une expression très large dans la littérature, particulièrement depuis les années 1980, avec la reconnaissance grandissante des changements environnementaux planétaires et de leur nature complexe et incertaine. Cependant, l’engouement des organisations scientifiques et de leurs institutions fondatrices pour l’interdisciplinarité a contribué à l’émergence d’une littérature dense, vecteur d’une profusion de définitions variées, et souvent conflictuelles, du concept. Il est ainsi difficile pour les chercheurs et praticiens impliqués dans des initiatives interdisciplinaires de naviguer dans une telle complexité, et de mettre en œuvre des pratiques ‘authentiques’ d’interdisciplinarité, garantes à la fois de résultats scientifiques innovants et de changements de postures de recherche vers une attitude plus coopérante, réflexive, critique, ouverte, hétéro-centrée, et flexible.
Dans ce contexte, cette thèse cherche à mieux comprendre comment émergent et se développent les coopérations au-delà des frontières disciplinaires. Ainsi, nous proposons, afin de faciliter leur mise en œuvre, de relier de façon innovante l’interdisciplinarité au concept de réflexivité ; la réflexivité étant comprise ici comme étant un questionnement et une analyse pluriels des représentations, des présupposés, des motivations et des intérêts personnels et disciplinaires. Au-delà de cet objectif pragmatique, l’exploration de la question de l’interdisciplinarité permet de structurer un ensemble d’arguments critiques sur le rôle, les contributions et l’organisation des sciences du climat (au sens large) dans le contexte du changement climatique.
La thèse s’appuie sur une recherche-action participative menée sur la période 2008-2010 au sein du Groupement d’Intérêt Scientifique pour le Climat, l’Environnement et la Société (GIS CES) d’Île-de-France. Le GIS CES est chargé de financer, de faciliter et de coordonner des recherches interdisciplinaires concernant les impacts du changement climatique sur les sphères sociales, économiques, politiques et environnementales. Cette institution s’appuie sur l’expertise d’un ensemble de laboratoires de recherche travaillant principalement dans les domaines de la climatologie, de l’hydrologie, de l’écologie, de la santé et des sciences humaines et sociales (incluant l’économie environnementale, l’économie écologique et l’histoire).
La thèse suit le format recommandé par l’Université de Bergen (Norvège) : elle est structurée autour de quatre articles autonomes, publiés ou en cours de publication, reliés, harmonisés et contextualisés par une introduction.
L’article 1, basé sur un parallèle entre littérature et pratique, répond à un objectif pratique : celui de ‘dissiper la complexité autour de l’interdisciplinarité’. L’intention sous-jacente étant d’épauler les chercheurs et les praticiens dans la construction et le développement de leur projet interdisciplinaire, en leur fournissant une carte claire et globale du concept ainsi que des suggestions pour sa mise en œuvre concrète.
Pour effectuer cette mise à plat « structurante », l’article propose une définition de l’interdisciplinarité en trois volets. Premièrement, l’interdisciplinarité est définie par rapport à trois autres dynamiques de recherche basées elles aussi, à divers degrés, sur des interactions entre disciplines variées : la pluridisciplinarité, la multidisciplinarité, et la transdisciplinarité. Ces divers concepts étant souvent utilisés de façon interchangeable dans la littérature et parmi les praticiens, le premier volet de la définition contribue à éviter les confusions. D’une part, en rappelant la nature coopérante, réciproque et évolutive des interactions interdisciplinaires, qui diffèrent ainsi de la pluridisciplinarité et de la multidisciplinarité. Ces dernières sont en effet des pratiques restreintes au seul partage du sujet de recherche, en plusieurs éléments distingués les uns des autres, sans aucune organisation coopérante pour établir des liens entre eux. D’autre part, contrairement à la transdisciplinarité qui est synonyme de création d’une nouvelle discipline adaptée à l’étude d’un sujet émergent complexe, l’interdisciplinarité, quant à elle, créé de nouveaux outils et de nouvelles approches en croisant l’expertise de plusieurs disciplines, sans pour autant construire une méta-discipline. Par contre, les savoirs et savoir-faire construits au tout long du processus interdisciplinaire seront en retour mobilisés dans les diverses disciplines et participeront à leur développement.
Le deuxième volet de la définition de l’interdisciplinarité met en évidence ses principales dimensions : la réflexivité et l’authenticité, considérées dans l’article 1 comme les pierres angulaires de l’interdisciplinarité. En effet, nous postulons l’idée selon laquelle l’effort de réflexivité dont l’objectif est une meilleure connaissance de soi (de ses présupposés, ses expériences, ses motivations et ses intérêts) ainsi que de sa propre discipline (ses perspectives ontologiques, épistémologiques et méthodologiques), encourage et facilite les interactions authentiques au-delà des frontières disciplinaires. En retour, l’authenticité du dialogue avec les partenaires, son honnêteté et son respect, encouragent les remises en questions personnelles, qui elles-mêmes facilitent les interactions interdisciplinaires. En effet, la réflexivité, en permettant à chacun de prendre conscience des imperfections, des faiblesses et des limites de sa discipline, entraîne par ricochet la reconnaissance de l’autre. Il est alors plus aisé de reconnaître le besoin de coopérer avec les autres disciplines sur un sujet complexe, pour lequel sa propre discipline ne peut apporter toutes les réponses.
Enfin, le troisième volet de la définition de l’interdisciplinarité porte sur ses origines et son évolution historique. Ainsi, d’après la littérature, l’interdisciplinarité est légitimée par la reconnaissance du fait que certains objets d’étude, le climat par exemple, n’appartiennent pas à une seule discipline spécifique, mais sont nécessairement intégrés à plusieurs disciplines, et ne peuvent être étudiés, par conséquent, qu’à travers une perspective interdisciplinaire. Ce n’est alors qu’à travers un faisceau de perspectives disciplinaires que le savoir créé sera légitime, et qu’il pourra être mobilisé par les acteurs socio-politiques pour la prise de décision.
L’article 2 dresse un premier état des lieux des apports de la démarche réflexive dans le cadre de la mise en place de coopérations interdisciplinaires authentiques. Pour cela, nous nous appuyons sur une recherche-action participative menée au sein du GIS CES, qui a révélé des échecs dans le développement interdisciplinaire de certains projets. L’étude spécifique de ces projets en situation d’échec nous a permis de dégager des enseignements quant à la notion de coopération entre les disciplines. Nous avons en effet observé plusieurs divergences majeures entre les acteurs d’un même projet ; des divergences liées à la définition de l'interdisciplinarité, aux intérêts personnels et aux contributions des disciplines participantes. Ces interprétations différentes restées inexpliquées, ont par la suite provoqué des malentendus quant aux objectifs des projets et à leur déroulement. Elles ont empêché la mise en œuvre de coopérations interdisciplinaires réelles et durables.
Ce constat nous a conduits à souligner l’importance déterminante de la phase de construction des divers projets interdisciplinaires. En effet, ce sont lors de ces étapes initiales que se décident les objectifs, les moyens et les ressources des projets, ainsi que la nature des interactions. Cependant, c’est à ce même stade que le désengagement des acteurs est le plus fort : ils peuvent, en effet, être surpris par la complexité et les incertitudes inhérentes aux contextes interdisciplinaires, ou avoir le sentiment que leur expertise n’est pas suffisamment prise en compte. Parce que les premières étapes d’un projet conditionnent en partie son succès, nous explorons, dans l’article 2, les façons dont la réflexivité, lors de ces étapes initiales, contribue à l’émergence et au développement de l’interdisciplinarité.
La recherche menée au sein du GIS CES nous a permis de mettre en lumière quatre prérequis réflexifs, donnant l’opportunité aux acteurs de constituer le cadre d’un contrat inaugural pour mettre en œuvre un projet interdisciplinaire :
(a) Se rencontrer, et tenter d’expliciter ses propres expériences et ses représentations sur l’interdisciplinarité, ainsi que ses propres motivations pour le projet;
(b) Connaître les univers disciplinaires de chacun afin d’envisager les chemins vers un travail collectif;
(c) Définir de façon coopérative l’interdisciplinarité, et clarifier ce que cette définition implique en termes de valeurs de recherche;
(d) Définir de façon coopérative les objectifs du projet et les procédures à mettre en place, en prenant en compte les trois points précédents.
L’article 3, s’inspirant des résultats de l’article 2, met en avant les contributions d’une démarche de réflexivité sur le long terme : qui va au-delà de la phase de construction du projet. En effet, parce que les acteurs d’un projet interdisciplinaire évoluent grâce aux interactions collégiales, mais aussi parce qu’ils sont confrontés à différents défis émergeant au cours du processus, l’effort de réflexivité doit être poursuivi tout au long du projet, afin de permettre des réajustements en termes d’objectifs ou de structures.
Notre recherche-action participative a ainsi révélé l’existence de six principaux défis pour la mise en œuvre de l’interdisciplinarité dans le contexte du changement climatique. Ces défis peuvent être définis comme étant des exercices d’équilibre entre les spécificités souvent antinomiques inhérentes à l’interdisciplinarité. Les acteurs de projets interdisciplinaires doivent en effet jongler entre différence et complémentarité, évolution personnelle et authenticité, créativité et dépendance, incertitudes et innovation, réflexivité et désillusion, apprentissage et efficacité. Face à ces défis, la réflexivité joue un rôle stabilisateur, aidant les acteurs à gérer leur projet interdisciplinaire avec plus de sérénité.
Sur la base de ces six défis, l’article 3 présente un modèle pour une interdisciplinarité réflexive de long terme dans le cadre du changement climatique. Ce modèle, applicable à d’autres initiatives interdisciplinaires, est articulé autour de quatre outils réflexifs :
1. Un ‘contrat inaugural’, signé par les acteurs d’une projet interdisciplinaire, et leur offrant l’opportunité de définir les rôles de chacun, les objectifs et les moyens du projet, ainsi que les règles de coopération ;
2. Des ‘présentations harmonisées’, au cours desquelles les acteurs exposent leur perspective sur la problématique à l’aide d’un support standardisé (organisé autour des mêmes titres, questions et structure), permettant ainsi d’établir un parallèle direct entre les disciplines ;
3. Des ‘tableaux synthétiques’, guidant les acteurs dans leur compréhension des autres disciplines, en proposant une exploration structurée selon les outils, données, échelles, ou encore règles de fonctionnement des disciplines ;
4. Des ‘pauses écrites’, organisées de manière à offrir du temps aux acteurs de projets interdisciplinaires dans le but de prendre de la distance sur eux-mêmes, sur leur discipline, ainsi que sur le projet.
Nous avons observé, au cours de notre recherche action participative, que ces outils posent les bases d’une reconnaissance de la légitimité des diverses perspectives disciplinaires. Dans un même temps, ils engagent chaque acteur dans une démarche de prise de conscience et d’acceptation de la complexité inhérente tant à la problématique qu’au processus.
Néanmoins, parce que l’interdisciplinarité et la réflexivité sont des processus de long terme, le modèle d’interdisciplinarité réflexive proposé semble peu adapté à l’organisation des pratiques actuelles dans le domaine de la recherche sur le changement climatique. Ainsi, dans l’article 3, nous émettons le souhait que les scientifiques de projets interdisciplinaires et les chercheurs engagés dans l’Etude des Sciences et des Technologies (Science and Technology Studies, STS), qui disposent d’une expertise au niveau du fonctionnement de la science et de ses relations avec la société, poursuivent et développent les réflexions engagées. Une question essentielle se pose en effet aujourd’hui : comment structurer et adapter les recherches interdisciplinaires et réflexives sur le changement climatique à une interface science-politique confrontée à l’urgence, la complexité et l’incertitude des problèmes environnementaux globaux ?
Enfin, l’article 4 envisage la question de la mobilisation des savoirs interdisciplinaires dans la prise de décision politique. Nous tentons de relier les perspectives offertes par la littérature STS sur l’interface science-politique, et les savoirs mis au jour par les scientifiques interdisciplinaires actifs à cette interface. Cet article identifie des divergences importantes entre ces deux communautés scientifiques, notamment au niveau des représentations sur le changement climatique. Tandis que les chercheurs en STS soulignent la nature intrinsèquement complexe, incertaine et incontrôlable du changement climatique, les scientifiques mettent en avant le fait que les incertitudes peuvent être réduites et limitées, et que la quantité grandissante de savoirs sur le sujet peut venir à bout de la complexité du climat.
Ces représentations diverses sous-tendent des perspectives divergentes sur la nature des actions et des interactions à l’interface science-politique pour le changement climatique. En effet, les scientifiques, pour leur part, optent plutôt pour un ‘modèle déficitaire’, selon lequel il s’agit ‘d’éduquer’ les acteurs sociaux et politiques afin qu’ils puissent prendre les décisions adéquates face aux questions concernant le changement climatique. Les chercheurs en STS, quant à eux, prônent des approches ‘post-normales’, pour lesquelles les savoirs sur le changement climatique sont co-construits par les scientifiques et les acteurs socio-politiques. Afin de définir des modalités pour que les savoirs interdisciplinaires puissent être mobilisés à l’interface science-politique, l’article 4 propose un dialogue réflexif entre les chercheurs en STS et les scientifiques. L’intention des partenaires, au cours de cet échange, étant de coopérer pour faire émerger un nouveau dessin de cette interface.
A travers les quatre articles rapidement décrits ci-dessus, cette thèse de doctorat tente de montrer que la réflexivité est une dynamique enrichissante, adaptée à la mise en œuvre de pratiques d’interdisciplinarité ‘authentique’ dans le domaine du changement climatique. En effet, le questionnement - personnel et collectif - des présupposés sociaux, ontologiques, épistémologiques et méthodologiques dans lequel elle engage les scientifiques, est propre à développer les attitudes de recherche coopérante, telles que l’ouverture, l’authenticité, la modestie, ou la reconnaissance.
Cependant, tout comme l’interdisciplinarité, la réflexivité est un processus d’apprentissage de long terme, qui requiert des efforts, du temps, de la patience et de la persévérance, surtout de la part de ceux qui ne sont pas familiers avec cette pratique. Compte-tenu de l’investissement demandé par la recherche interdisciplinaire et réflexive, et des exigences qu’elle requiert sur le long terme, l’organisation actuelle de la recherche en Europe, ancrée dans une logique gestionnaire et suivant des principes d’efficacité, de prestige, de concurrence et de hiérarchie, semble mal adaptée à ces pratiques de recherche.
C’est pourquoi l’une des pistes déployée par cette thèse de doctorat est celle d’un dialogue réciproque entre chercheurs en STS et scientifiques. Il apparaît en effet essentiel de repenser l’organisation actuelle de la recherche pour le changement climatique, ainsi que l’interface entre sciences du climat et sphères sociales, politiques et économiques. Une évolution qui prend en compte la complexité, les incertitudes et la pluralité des perspectives légitimes qui entourent la question du changement climatique.